Les chemises Hathaway: la campagne qui a du style.
Je ne suis pas du genre à parler boulot pendant mon temps libre, mais là, il faut bien admettre que j’ai une bonne raison de le faire. Puisqu’en tant que concepteur-rédacteur publicitaire, l’histoire qui suit est un cas d’école. Ouais d’agence… Te sens pas obligé de faire un jeu de mots à chaque ligne.
On est en 1951 sur la Madison Avenue. Un petit fabricant de chemise du Maine, C.F. Hathaway Company, arrive avec un budget ridicule (30 000 $) pour tenter de trouver l’agence qui signera sa première campagne publicitaire. Avec un peu de culot et des convictions, Ellerton Jette – c’est le nom du patron – frappe au 345 chez celui qui deviendra certainement le plus grand concepteur-rédacteur et publicitaire de tous les temps: David Ogilvy, un genre de Don Draper qui fume la pipe et aux costumes un peu moins coupés à la H&M. Un mec qui a également fondé sa propre agence Hewitt, Benson, Ogilvy & Mather il y a 3 ans avec 6000 $ en poche et qui tourne avec, entre autres, la Sun Oil Company et ses 3 millions de $ de budget par an (100 fois plus que Jette et sa marque chemises pour l’armée) comme client. En gros, c’est la playsse-tou-bi chez les Mad Men des 1950’s. La tâche pour le jeune creative shop, c’est de faire exister Hathaway face au géant Arrows. Et pour convaincre Ogilvy de signer sa campagne malgré le peu de pognon, Jette vient avec the argument qui ferait rêver tout publicitaire: « je sais que je n’ai pas un rond, mais je vous promets de ne jamais changer d’agence et de ne pas toucher à un seul mot de ce que vous écrirez sur mes annonces. ». David se dit: « Allez, il est bien marrant le pégu de Waterville, ça fera toujours un peu de thunes et puis y a moyen de se marrer sur le shooting. ».

Le concepteur-rédacteur le plus talentueux et le plus stylé de l’histoire de la publicité: David Ogilvy (1911-1999). C’est lui qui a conçu la campagne « The Man with an eye patch » pour les chemises Hathaway dans les années 1950/60.
Effectivement, on va se marrer sur le shooting: en chemin pour le studio, Ogilvy achète des cache-oeil à 50 cents pièce au nom de la déconne. Et c’est à peu près ce qu’il dit au photographe avant de se barrer au bout de 5 minutes: « Tiens Jean-Mi, fous ça sur la tronche du modèle qu’on rigole un peu. Après tu pourras faire ton boulot sérieusement ». Le lendemain, »The Man in the Hathaway shirt » était né. En voyant le résultat, David Ogilvy sait qu’il tient ce qui va devenir l’une des plus campagnes les plus influentes et les plus inoubliables jamais conçues. En effet, bien qu’au premier abord semblable à toutes les autres pubs de sapes de l’époque, le cache-oeil va changer la donne: ce simple accessoire attise la curiosité des spectateurs et donne au modèle une histoire – d’où vient-il ce cache-oeil? Pourquoi ? Quelle est l’histoire de ce mec? C’est quoi son projet? Alors quand t’as pas internet, quand t’as pas wiki, tu fais comment? Ben tu vas en magasin et tu demandes. Et tu repars avec dix chemises de Hathaway. Bien vu: en moins de 5 ans, les ventes ont plus que doublé. Je vous invite à regarder par vous-même – avec les deux yeux – et vous verrez qu’au bout d’un moment, vous allez aller chercher les infos sur ce Baron George Wrangell (un véritable baron russe, ça c’est pas une blague de David) qui, pour la petite histoire, avait deux yeux parfaitement valides. Les idées les plus simples sont celles qui… pardon, je la ferme.