Viens voir les musiciens !
Ouais ouais ouais, ferme-la Dave! Ouais, je sais, c’est Aznavour, mais j’peux encore faire des vannes, non? En tout cas, Charles, laisse les gens savourer en silence cet article qu’ils n’attendaient plus. Article dans lequel je vais pouvoir enfin mixer mes deux passions : la musique et le style. On est au milieu des années 1910 aux États-Unis. Le jazz pointe le bout de son nez : il verra d’ailleurs officiellement le jour en 1915 avec la sortie de Jelly Roll Blues par Jelly Roll Morton, premier enregistrement jazz de tous les temps. Les gramophones se multiplient dans les foyers des classes moyennes et bourgeoises. On y laisse tourner les vinyles de Columbia Records, les rags d’Irving Berlin, la chanson de protestation I Didn’t Raise My Boy To Be A Soldier de Morton Harvey ou encore l’épique Ritual Fire Dance de Manuel De Falla. Et c’est ce dernier qui nous amène au registre classique qui, à l’époque, est dominé par Debussy, Reger, Ravel, Satie, Stravinsky, Villa-Lobos, Bartók, Enescu, … Bref, tous les grands noms de la musique classique du 20e siècle.
Ce ne sont pas les compositeurs que je vous présente aujourd’hui dans cette série de photos, mais les interprètes de cette musique qui s’imprime de plus en plus sur ces disques noirs de vinyle et qui s’exporte à travers le monde, pour le plus grand plaisir de la démocratie culturelle. Pablo Casals est parmi eux, tout comme le grand Caruso, mais également des artistes moins connus de nos jours, mais qui eurent leur heure de gloire peu avant les années folles, avant d’être fondus dans la chaleur frénétique du jazz. Une fois de plus, merci à la Library Of Congress pour ces photos rares, qui nous permettent de découvrir le visage et le style de ces mecs cools et alternatifs des 1910’s.

L’intitulé de la photo indique seulement « Alphonse ». Il pourrait s’agir de l’organiste et pianiste québécois Alphonse Martin. mais rien de moins sûr.

David Bispham (1857-1921) est le premier baryton américain à être reconnu sur la scène internationale, grâce à son interprétation notable de Tristan Und Isolde de Wagner, sous la direction de Gustav Mahler à Covent Garden, en 1892.

D’origine russe, Efrem Zimbalist (1889-1985), comme son nom ne l’indique pas, était un violoniste, chef d’orchestre et compositeur qui, en 1915, jouait pour l’Orchestre Symphonique de Boston. Il est le mari de la soprano américaine Alma Gluck, avec laquelle il tournera énormément jusqu’en 1938.

Le voilà, le grand Enrico Caruso (1873-1921), ténor napolitain considéré par beaucoup comme le meilleur de tous les temps. En 1902, il enregistre déjà sur gramophone, ce qui lui permet de devenir une vedette internationale. Ici en tournée aux États-Unis, il affiche sa classe aussi légendaire que sa capacité à fumer comme un pompier. Pourtant, ce n’est pas la cigarette, mais un attentat à la bombe qui l’emportera prématurément en 1921.

Connu pour son vibrato incroyablement marqué et sa technique légère, le violoniste autrichien Fritz Kreisler (1875-1962), sur cette photo, revient certainement de la Grande Guerre. Guerre où il a été blessé et rendu à la vie civile. Ce qui n’entâche aucunement sa célébrité grandissant depuis 1910.

Bordelais d’origine, le jeune Georges Barrère (1876-1944) s’illustre à 17 ans en réalisant l’ouverture superbe de la première du Prélude à l’Après-Midi d’un Faune de Debussy. Onze ans plus tard, il s’installe définitivement aux États-Unis où il fondera le Barrère Ensemble of Wind Instruments et le Little Symphony chamber orchestra.

Ignacy Paderewski (1860-1941) ne fut pas seulement un excellent pianiste polonais, mais également un homme politique très actif et défenseur d’une Pologne libre et indépendante. Ici à New-York en tenue d’hiver vers 1915-1920, accompagné de sa seconde épouse.

Né en 1882, John Powell fut un éminent pianiste américain, mais également un promoteur de musique populaire, en fondant l’un des premiers festivals de folk aux États-Unis: le White Top Folk Festival, qui se déroula de 1931 à 1939 dans les Appalaches.

Enfant prodige, élève de Rubinstein, Josef Hofmann (1876-1957) est encore l’un de ces polonais musiciens dont les américains sont friands pour leurs concerts du samedi soir, notamment au Metropolitan Opera. Il fut l’un des pionniers de l’enregistrement sur disque grâce aux inventions d’Edison début XXe, et inventera même par la suite des mécanismes pour le piano et l’industrie automobile. Ouais, le mec touche un peu.

Encore un Josef, mais pas un Polonais. Non, un tchèque. Josef Stransky (1872-1936), ici avec son magnifique trois-pièces de concert, est à ce moment chef d’orchestre du Philarmonique de New-York. Il occupera ce poste jusqu’en 1923 avant de se consacrer intégralement à l’art, dont il sera un important marchand et collectionneur, spécialisé dans la Période Rose de Picasso.

L’Anglais Louis Graveure au tout début de sa carrière de bariton aux États-Unis. À cette époque, il se produit sous ce nom, mais aussi sous son véritable nom Wilfrid Douthitt, jetant le doute chez les journalistes qui lui donnent le surnom et excellent nom de scène « The Mystery Man ». Aussi doué pour le chant que pour le jeu d’acteur, il apparaîtra dans quelques films dans les années 1930 et se mariera à la jolie Camilla Horn.

Mischa Elman (1891-1967) fut certainement le plus grand violoniste de son temps. Il joue Paganini à 11 ans, il joue avec l’Orchestre Colonne quelques années plus tard et à 25/26 ans (âge qu’il a sur cette photo), il tourne à 107 représentations par an. Il est encore de nos jours reconnu pour son style passionné et un son proche de la perfection. Un technicien avec des sentiments.

Le voilà le grand Pablo Casals (1876-1973), avec sa clope et son violoncelle. Quasiment inconnu avec des cheveux, il a vécu la plus grande partie de deux siècles incroyables pour la musique. Il a participé dès le début du XXe à la redécouverte de Bach et a contribué à remettre son instrument sur le devant de la scène, grâce à sa passion acharnée. Passion qu’il utilisera également pour s’opposer à Franco et aux dictatures en général. Il est même proposé au prix Nobel de la paix en 1958. Écouter Pablo Casals, encore aujourd’hui, c’est remonter aux sources de la musique et de ses émotions. Et en plus, il a un putain de style, presque le même nom que moi et une calvitie marquée, comme moi. Vous croyez que c’est un signe?

On finit par une autre star de l’époque: le baryton américain Reinald Werrenrath (1883-1953). Il enregistre dès 1907 pour Edison Records et la Victor Talking Machine Company et débute au Metropolitan Opera en 1919 dans Pagliacci de Leoncavallo aux côtés de Caruso. C’est probablement pendant cette période de gloire qu’a été prise cette photo de Reinald dans sa superbe robe de chambre, comme on les portait à l’époque en intérieur, par dessus son costume.