Jean Gabin : « Gueule d’Amour » et style de dingue.
Lorsque l’on parle de gentlemen, d’acteurs icônes de style et de charisme, on parle souvent de Gary Cooper, James Dean, Humphrey Bogart, Steve McQueen et j’en passe et j’en passe, et que les non-cités ne m’en veulent pas. Et les français alors ? Bien sûr, tous les bloggueurs connaissent désormais le trench-coat d’Alain Delon dans Le Samourai ou le style ivy cool de Belmondo dans À Bout De Souffle. Mais on a tendance à oublier que les icônes, on les a eu en France aussi avant la guerre. À l’époque où, de l’autre côté de l’Atlantique, on s’habillait comme Cooper, Cagney ou Flynn, nous, on avait « Gueule d’amour ». « Gueule d’amour », c’est Jean-Alexis-Gabin Moncorgé, dit « Jean Gabin ». Jean Gabin, c’est ce parigot aux yeux bleus entre la bonhommie du meilleur copain et le regard dur du bourru qu’il était. Né le 17 mai 1904 dans le 9e arrondissement, il passe pourtant le plus clair de son enfance à la campagne, dans le Val d’Oise, élevé par Madeleine. Pas la Madeleine (Robinson) qu’il embrassera dans Leur Dernière Nuit, mais « la » Madeleine, sa grande soeur. On imagine alors un Gabin sans son gros pif, dont on ne sait trop d’où il sort. Un pif qu’il obtient à 10 ans avec fierté, lors d’un combat de boxe. Ce sera la seule chose qu’il obtiendra d’ailleurs, puisqu’il est une bille à l’école. Mais être une bille à Janson De Sailly, c’est un peu comme être le premier de la classe dans un lycée de Haute-Loire. Sa mère disparue, son père tenancier et chanteur d’opérette le force à entrer dans le monde du spectacle, alors que le beau Jean rêve de faire comme son grand-père : chauffeur de locomotive à vapeur… Je ne peux pas vous faire l’entière biographie ici, Wiki le fait bien mieux que moi. Mais cette entrée dans le monde du spectacle à 18 ans d’un Gabin qui rêvait de mettre les mains au charbon, c’est l’analogie de son plus beau rôle, de son rêve porté à l’écran: La Bête Humaine, qu’il jouera en 1938, sous la direction du grand Jean Renoir.
À travers quatre films que l’on peut facilement taxer de chefs-d’oeuvre, je vais tenter de vous prouver que nous n’avons pas toujours eu des Kad Merad dans les salles obscures de France. À une époque, on y avait du style, des icônes, des hommes, des charmeurs, des gueules, et parmi ceux-là, une seule, unique et immortelle « Gueule d’amour ». Celle que l’on imagine se regarder dans le miroir et se lancer à elle-même un « T’as de beaux yeux, tu sais? ».

Un an après son rôle qui l’a consacré dans La Bandera en 1935, Gabin joue Pépé le Moko : un caid parisien qui se cache avec ses compères dans la Casbah d’Alger. Il est ici accompagné d’Ines, sa maîtresse dans le film, jouée par Line Noro. Aux costumes, une certaine Chanel…

Le journaliste et historien Jacques Sicilier dira plus tard du film : « Pépé le Moko, c’est l’installation officielle, dans le cinéma français d’avant-guerre, du romantisme des êtres en marge, de la mythologie de l’échec. C’est de la poésie populiste à fleur de peau : mauvais garçons, filles de joie, alcool, cafard et fleur bleue ».

Même si beaucoup d’entre nous connaissent encore Jean Gabin, c’est rarement le Gabin fin, sec et jeune. Pourtant, c’est avant-guerre qu’il connaît ses plus grands succès dramatiques. Par contre, est-ce que quelqu’un peut me renseigner sur les chaussures sans lacets incroyables qu’il porte sur cette photo ?

1938. Jean Gabin et Michèle Morgan devant la caméra, Marcel Carné derrière. Le Quai Des Brumes est peut-être le plus grand film français de tous les temps. Deux paires d’yeux comme on n’en voit plus : Michèle et Jean auront d’ailleurs une courte relation dans la vraie vie. Et Gabin de ressortir son foulard de soie et son fedora, arborés fièrement avec un simple sweatshirt de coton et une chemise.

« T’as d’beaux yeux, tu sais », ça vient de là. Un an plus tôt, il était déjà devenu « Gueule d’Amour » dans le film du même nom. Mais là, dans son personnage de déserteur et aux côtés de Michel Simon, il s’emballe quand même la Michèle Morgan.

En 1939, Gabin retrouve Carné et Prévert (aux dialogues). Il y joue François, un assassin malgré lui assiégé par la police. Aux côtés de Jules Berry, Jacqueline Laurent et d’un tout jeune Bernard Blier (21 ans).

Dans ce film qui sort à l’aube de la deuxième guerre mondiale, Gabin affichent une palette de costumes superbes, faisant revivre le milieu ouvrier des années 1930 à merveille.

Il y a ces pulls très serrés et courts portés sur des pantalons à pinces larges. Une simple chemise portée dessous. Et puis cette casquette qui aura une durée de vie en France bien plus longue qu’aux États-Unis. Boris Bilinsky, qui a réalisé les affiches de Metropolis et les costumes pour de nombreux films fastueux tels que Casanova ou monte-Cristo, a fait un travail discret, mais incroyable sur ce film.

Gabin en blouson de cuir et avec une arme, c’est pas tous les jours. Un peu comme un avant-goût de sa tenue des FFL. Le 3 septembre 1939, année de sortie du film, il est mobilisé dans la Marine Nationale. Son dernier film avant la guerre sera Remorques. Refusant de tourner pour les allemands, il rejoint Renoir, Duvivier et Aumont à Hollywood. Malgré son idylle avec la somptueuse Marlène Dietrich et une carrière hollywoodienne qui lui tend les mains, Jean Gabin rejoint les Forces Navales Françaises Libres. Canonnier-chef puis second-maître, il participera sous les ordres de Leclerc et Gélinet à des opérations décisives à Casablanca, Royan et Berchtesgaden. Lorsqu’il revient, Gueule d’Amour a des cheveux blancs, une Médaille Militaire, une Croix du Mérite et une deuxième carrière de cinéma qui l’attendent. Sauf que désormais, il est aussi un héros de la Libération. Et cela, peu d’acteurs peuvent s’en vanter.