Et pourquoi ne pas étudier le style des années 1910 à 1950 en faisant aussi un peu de photographie, d’histoire et d’anthropologie? Vous pouvez ne pas être né de la dernière pluie, ne pas avoir inventé la poudre, être con comme un balai, il est absolument impossible de n’avoir jamais vu un de ses portraits. August Sander a été à la photographie de portrait ce que Brigitte Lahaie a été au porno français : il a posé les bases. Le petit August est né ébouriffé en 1876, dans le village de Heldorf, au sud-ouest de l’Allemagne. Bien qu’il n’ait aucun lien avec quelque japonais que ce soit, pas la peine d’attendre bien longtemps avant de le voir tenir un appareil photo en assistant un photographe de Trèves, de 1897 à 1899, avant que son oncle ne l’aide à monter son premier atelier de photo en 1904, à Linz, en Autriche. D’abord productif en tant que père plus qu’en tant que photographe (il a 4 enfants avec sa femme Anna Seitenmacher), il part s’installer à Cologne, au 201 Dürener Straße, où sa réputation se fera dès 1910 grâce à de superbes clichés de paysages naturels et industriels. Sander s’ennuyant un peu dans son atelier, il monte le Kölner Progressive – mouvement qui regroupe graphistes, écrivains, peintres, architectes et photographes, au début des années 1920. C’est grâce à ce mouvement que son travail de portraitiste s’étale au grand jour, en pleine République de Weimar, avec la parution en 1929 de 60 portraits intitulés Menschen des 20. Jahrhunderts (Les Hommes du XXe siècle).

Autoportrait d’August Sander, 1925.
Au-delà de son talent de photographe, il agit dans son travail en tant qu’humain, citoyen d’une Allemagne meurtrie après la Première Guerre Mondiale, instable, pauvre et en recherche de personnalité. Vous ne verrez pas de sourire sur les visages des médecins, des instituteurs, des paysans, des soldats nazis, des artistes pris par Sander, arborant tous une froideur de regard et d’expression, reflet d’une époque de montée vers l’extrémisme, mais où il faut malgré tout vivre et parfois survivre. En passant en revue toutes les couches de la société, il délivre un témoignage historique d’une richesse incroyable sur le style de vie dans l’Allemagne d’entre-deux guerres, ainsi que sur le style tout court, mais s’expose aussi aux rigueurs idiotes de la dictature nazie : en 1934, cette variété étant contraire aux principes fondamentaux aryens, ses portraits sont confisqués et il est interdit par les autorités de les continuer. Cette même année, son fils Erich, membre du Parti Travailleur allemand, est arrêté et emprisonné à Siegburg. Il meurt 6 mois avant sa libération, en 1944. En 1946, August entreprend une documentation photographique sur la ville détruite de Cologne. Il y mourra en 1964. Eh oui, vous l’attendez cette fin où je vous dis « il est mort, mais ses portraits resteront à jamais dans nos mémoires, intemporels et influents, inspirants les plus grand photographes de la seconde moitié du XXe siècle ». Ben voilà, vous l’avez.

Vieil homme, 1910.

Jeunes fermiers, 1914.

Aviateur, 1920.

Jumeaux, 1920.

Instituteur, 1921.

Le Quartet Havemann, 1923.

Le peintre polonais Jankel Adler, 1924.

Notaire, 1924.

Le peintre abstrait allemand Otto Freundlich, 1925.

Le philosophe allemand Max Scheler, 1925.

Forgerons, 1926.

Photo tirée d’une série sur les travailleurs du cirque réalisée entre 1926 et 1932.

Le célèbre peintre allemand Otto Dix et sa femme Martha, 1926.

Étudiant d’école de grammaire dans un superbe 2-pièces imprimé, 1926.

Maçon, 1926.

Anton Räderscheidt, peintre du mouvement de la Nouvelle Objectivité, 1926.

L’écrivain et critique de théâtre Franz Paul Brückner, 1926.

Le marchand d’art Sam Salz, 1927.

Un démocrate, membre du Parlement de la République de Weimar, 1927.

Poseur de briques, 1928.

L’artiste constructiviste Heinrich Hörle, 1928.

Le peintre Robert Seuffert, 1928.

Pâtissier, 1928.

Mains de l’écrivain Mather, 1928.

« Touring player », 1928-1930.

L’écrivain et critique de théâtre Theodor Haerten, 1928.

Jeune instituteur, 1928.

Banquier, 1929.

Ouvriers agricoles, 1929.

L’une des grandes figures du Dada berlinois : l’artiste et écrivain Raul Hausmann, 1929.

Porteur, 1929.

Jockey, 1930.

Le professeur d’art, Karl With, 1932.

Un fabricant de papier et sa femme, 1932.

Nazi, 1935.

Un industriel avec sa cravate à pois, 1936.

Soldat allemand, 1940.

Jeune nazi, 1941.

Le prisonnier politique Erich Sander, fils d’August, peu de temps avant sa mort en détention, 1943.

August Sander en 1956. Par son deuxième fils, Gunther.
Plus de photos de Sander issues des collections de la Tate ici.
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